III. // HOLLY SPRINGS, VA.

▪ quartier nord ▪ A Goose Creek, les pavillons virtuellement identiques aux jolies pelouses symétriques s'alignent dans des rangées parfaites. Ici, la classe moyenne suburbaine américaine s'est déployée dans toute sa gloire décolorée. Le quartier est plutôt calme, résolument familial, verdoyant et toujours impeccablement entretenu; Goose Creek est notamment apprécié pour sa sécurité. C'est que les autorités ont tout fait pour, particulièrement à la fin du siècle dernier, dans le but de rameuter les populations salariées toujours en quête d'une vie meilleure à la grande ville. En même temps que leur maison, on leur a vendu un rêve comme on vendrait un ticket au bonheur manufacturé : la palissade blanche, les enfants en bicyclette dans l'allée, la tranquillité en banlieue. Pourtant, la nuit tombée, Goose Creek change de visage sous les faisceaux fantomatiques des lampadaires. Il y a quelque chose d'inexplicablement troublant à regarder ses rues charmantes désertées, réduites au silence par le manteau de l'obscurité nocturne. Quelque chose qui nous donne envie d'accélérer le pas, de ne pas s'attarder dehors.

▪ quartier est ▪ Tout le quartier de Finberry Hills s'est construit autour du campus de l'université de Fullcross, elle-même établie en 1735. L'architecture au charme distinctement européen des environs régalera les prunelles curieuses de tous les amateurs de belles bâtisses. Nombreux des édifices environnants datent de l'époque et sont classés au patrimoine local, un soin particulier étant mis en oeuvre pour les garder maintenues à leur splendeur originale. C'est tout naturellement que la population fortunée de Holly Springs a pris le quartier en otage, leurs portes-feuilles bien joufflus contribuant à la conservation du site. Les commerces y sont aussi anciens que prospères, manifestement à ciblée d'une population qui les moyens de s'offrir la culture. Ici, le train de vie est quelque peu coupé du reste du reste de la ville. Le rythme diffère, juste un peu dissonant, changeant. Peut-être que c'est simplement le cadre romanesque qui en souffle l'idée, mais on a parfois l'impression de déambuler à travers les siècles en s'y promenant.

▪ quartier central ▪ Le centre porte toutes les marques d'un passé qui, parfois, ne semble pas si loin tellement il est facile de se le visualiser. C'est le quartier le plus animé de la ville. On y vient pour faire ses courses, on y vient pour se divertir. Les façades colorées des édifices de l'époque coloniale renforcent encore un peu plus son aspect cinématique. A La Crosse, on a toujours fait exploser son capital historique. Vous piétinez les mêmes pavés que tel héro renommé, et on ne vous laissera jamais l'oublier. Toutes les années, à la célébration de la fondation de la ville, des acteurs en costumes d'époque défilent le long de Main Street en saluant la foule, tous sourires. Parfois, ils ont l'air de savoir - savoir que l'histoire des pionniers n'est pas aussi idyllique qu'on aime le penser. Parfois, ils ont l'air de s'être évadés de l'espace creux entre les siècles, prêts à reprendre leurs vieilles habitudes. A La Crosse, la pression du bois semble moins oppressante. Mais peut-être qu'il sait simplement comment s'y dissimuler.

▪ quartier sud ▪ Cedar Grove appartient aux laissés-pour-comptes de Holly Springs, ceux qu'on préfère oublier, pour qui la municipalité ne montre qu'apathie glaciale. Les rues sont moins entretenues, on laisse les vieux bâtiments décrépir les entrailles à nu comme des carcasses géantes. Cedar Grove n'est même pas capable de produire de vrais criminels, l'anesthésiant est trop fort pour ça. Ici, c'est l'indolence végétative qu'on cultive, on laisse les gens se contenter de miettes, on laisse les gens abandonner. On y empile les populations les plus défavorisées et on y liquide jusqu'au au dernier espoir d'ailleurs. Les maisonnées décolorées se dressent contre un ciel toujours plus gris, comme si même le soleil avait perdu l'envie de s'y montrer. Il parait que l'air y est toujours plus épais, plus oppressant - ou peut-être que c'est simplement la poussière. Curieusement, les habitants de Cedar Grove sont moins effrayés par le bois, moins réceptifs à son appel. Disons qu'ils ont d'autres chats à fouetter.

▪ quartier ouest ▪ Oakvale est le quartier le moins urbanisé de Holly Springs, certaines de ses plus petites routes n'étant même pas bétonnées. Ici, les fermes, les grandes exploitations agricoles et autres immenses terrains d'imposantes demeures au style colonial se succèdent et peignent le paysage de leur variété. La tranquillité s'impose d'elle-même dans ce cadre pastoral, le trafic est peu dense et la distance entre les bâtisses assez ample pour échapper aux nuisances sonores des voisins. Parfois, on peut se sentir si isolé, si coupé du reste de la civilisation, les yeux posés sur cette vaste étendue de champs qui domine l'horizon, qu'on croirait presque que le monde pourrait s'arrêter qu'on ne le remarquerait pas. C'est également le quartier qui demeure le plus proche du bois, constamment obscurci par son ombre, incessamment menacé par son avancée grandissante. Les phénomènes inexpliqués sont particulièrement fréquents à Oakvale. Des apparitions étranges entre les arbres, des animaux qui fuient. Certains des habitants parent leurs porches de toute sorte de grigris, juste au cas où.

▪ le bois ▪ Ils disent de ne jamais avoir peur du bois, mais de toujours s'en méfier - surtout ne vous y perdez pas. Le bois a un autre nom que le bois. Tout le monde semble le connaître, mais personne ne le prononce jamais. C'est simplement le bois. Il domine le sud-ouest de Holly Springs et, chaque année, il gagne un peu de terrain, si bien qu'on n'a aucun mal à l'imaginer, dans un futur peut-être pas si lointain, étouffer la ville sous une couverture de mousse. Sur les cartes, il semble peu étendu, à peine plus qu'un une tâche verte intense au milieu de l'immensité de champs blonds. Pourtant, la plupart de ceux qui l'ont visité jureraient qu'il s'entend sur des centaines d’hectares, qu'il faudrait des jours pour le traverser d'un bout à l'autre. Dans le bois, les lois de la physique ne semblent plus s'appliquer. Il neige en juin, et les flocons se transforment en pétales en février. Le temps s'en fiche, il ne se presse pas. Certains racontent que les arbres se mouvent, leurs racines comme des bras tentaculaires qui tendent vers vos chevilles. D'autres aperçoivent des animaux à la silhouette impossible filer entre les feuillus. D'autres encore entendent leur nom sifflé à travers les branchages. Rien n'est jamais sûr dans le bois.